Le chapitre 6 de l’Évangile de Jean, souvent appelé le « Discours sur le Pain de Vie », a fait couler beaucoup d’encre à travers les siècles. Ce texte, profondément spirituel et théologique, divise les interprètes depuis les Pères de l’Église jusqu’aux exégètes modernes.
Les Pères de l’Église : entre allégorie et eucharistie
Les Pères de l’Église n’étaient pas unanimes quant à l’interprétation de ce passage.
- L’École d’Alexandrie, représentée par Origène et Clément d’Alexandrie, privilégiait une lecture allégorique. Clément écrivait : « Le Logos est désigné allégoriquement de bien des manières : nourriture, chair, aliment, pain, sang, lait » (Le Pédagogue, 1, 6,47).
- À l’inverse, l’École d’Antioche (Cyrille de Jérusalem, Jean Chrysostome) soulignait la portée eucharistique des versets 52-58 : « À ceux qui le désirent, Jésus ne donne pas seulement à voir, mais aussi à toucher, à manger, à mordre » (Jean Chrysostome, Hom. 46, 3).
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Entre protestants et catholiques : une lecture diverse
À l’époque de la Réforme, Luther et Calvin privilégiaient une interprétation spirituelle : « Ce chapitre ne parle pas des sacrements, mais de la manducation spirituelle » (Luther, Werke 33, 182).
En revanche, l’Église catholique a surtout insisté sur une lecture réaliste et sacramentelle, bien que cela n’ait pas toujours fait l’unanimité.
Aujourd’hui, une compréhension eucharistique est largement acceptée, mais elle repose sur une lecture des Évangiles non pas comme des reportages, mais comme des récits enracinés dans la foi des premières communautés chrétiennes.
Contexte d’Exode et symbolique de la manne
Jean 6 regorge d’allusions à l’Exode et à la manne, faisant écho à des événements fondateurs de l’Ancien Testament.
- La Pâque est mentionnée (6,4), rappelant le mémorial de la libération d’Israël.
- La montagne (6,3) évoque Moïse recevant la loi sur le mont Sinaï.
- La manne (6,31) relie Jésus au Dieu qui nourrit son peuple dans le désert.
- La traversée de la mer (6,16-21) rappelle le passage de la mer Rouge.
- Les murmures des Juifs (6,41) font écho aux plaintes du peuple dans le désert (Ex 15,24).
Ces références soulignent que le discours sur le Pain de Vie appelle à un choix de foi ou d’incroyance, tout comme l’Exode était une épreuve de fidélité pour Israël.
Jésus, nouveau Moïse et plus encore
Jean présente Jésus non seulement comme un nouveau Moïse, mais aussi comme quelqu’un qui transcende cette figure :
- Jésus offre une manne impérissable (6,27) et abondante (6,13).
- Il s’identifie à la manne elle-même : « Je suis le pain de vie » (6,35).
- En marchant sur les eaux, il se révèle comme une figure divine (6,19) et s’approprie le titre réservé à YHWH : « Je suis » (6,20).
Une lecture eucharistique
Le chapitre 6 est profondément eucharistique. Les indices sont nombreux :
- Jésus prend l’initiative lors de la multiplication des pains (6,5) et distribue lui-même le pain, comme au dernier repas.
- La formule « Jésus prit les pains, il rendit grâce et les distribua » (6,11) rappelle les récits de l’institution de l’Eucharistie.
- L’attention portée aux restes (« Rassemblez les morceaux qui restent », 6,12) souligne la nature sacrée de ce pain.
L’auteur de l’Évangile de Jean, malgré son silence sur l’institution de l’Eucharistie dans les chapitres 13 à 17, enveloppe son discours sur le Pain de Vie d’une puissante dimension eucharistique, reliant l’ensemble du chapitre à ce mystère.
Conclusion : Un appel à la foi vivante
Le discours sur le Pain de Vie invite chaque lecteur à une rencontre personnelle avec Jésus. En tant que nouveau Moïse, il révèle une nourriture qui nourrit non seulement le corps, mais surtout l’âme.
Ce chapitre, enraciné dans la foi des premières communautés, continue de parler aux croyants, les appelant à vivre une foi incarnée dans l’Eucharistie et dans les actes concrets d’amour et de service.
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